Homélie pour la messe de fin d’année du Centre Sèvres 5 juin 2015 – Henri Laux sj

Billet
Publié le 11 juin 2015

 

Jésus disait :  « Comment les scribes disent-ils que le Messie est fils de David ? » (Mc 12, 35-37)

 

Les scribes avaient essayé de mettre Jésus en difficulté, mais ils avaient été pris à leur propre piège.  Alors maintenant ils se taisent ; c’est Jésus qui est en position d’autorité dans le Temple. Et si son propos peut nous paraître compliqué, c’est qu’en n réalité il argumente à la manière d’un rabbin ; il veut montrer que la qualité de Messie est supérieure au fait d’être de la lignée de David.

 

L’essentiel est bien en effet de faire apparaître la vérité au sujet de Jésus le Christ. Cette vérité, c’est que le Messie est d’abord le fils bien aimé de Dieu. Il est Dieu même qui se donne à nous entièrement, intimement. Tout le reste est accessoire et n’engage à rien. Jésus est le visage d’un Dieu qui s’est manifesté sur des routes, dans des maisons, au hasard des rencontres, dans la fête de Cana ou les larmes devant le tombeau de Lazare, autour d’un repas ou plus simplement au bord d’un puits, dans l’imprévu des situations, avec des souffrants – de corps et d’esprit, avec des affamés de pain et de justice : là, jamais sa parole ne fut préfabriquée, autoritaire ; elle se nourrissait de toute rencontre ; elle prenait naissance de  l’écoute de celui qui était là, dans la réalité de sa chair, de son cœur, dans les lumières ou le plus souvent dans les tourments de son histoire ; et c’étaient des paroles qui redonnaient du goût à la vie. Avec elles, on pouvait reprendre la route. On pouvait aimer à nouveau et s’ouvrir à autrui ; on réapprenait à s’aimer soi-même. Et c’est pourquoi on venait à lui.

 

Oui, l’image du Messie en est toute retournée ; c’est pourquoi les scribes d’hier et d’aujourd’hui, nous-mêmes peut-être, sont tout désorientés. En réalité, nous sommes appelés à donner visage à l’esprit de Jésus. A nous aussi de parcourir les routes de notre humanité aujourd’hui, toutes sortes de routes ; il y a celles qui traversent la Méditerranée ou le golfe de Bengale pour ceux qui cherchent un espoir de vie et qui souvent trouveront la mort, victimes d’autres hommes ; il y a tant de routes que les hommes de ce temps empruntent ; tant de frontières sur lesquelles ils se brisent. Nous ne sommes pas tous appelés à aller au loin, bien sûr, dans les grands conflits du monde (ce soir cependant je ne peux pas m’empêcher de penser à tel ou tel ancien de Sèvres, qui était ici dans cette assemblée, et qui vit maintenant à Homs, à Alep, ou auprès de réfugiés, ou encore dans bien d’autres lieux de violences ; et puis d’ailleurs certains d’entre nous, aujourd’hui rassemblés, auront certainement à connaître de telles situations…) ; à côté de ces routes plus lointaines, il y a aussi beaucoup de routes qui sont tout proches de nous, des histoires dont nous sommes témoins, des itinéraires de vie qui attendent d’être accompagnés. Jésus ne se dérobait jamais à son semblable, fidèle à l’injonction des prophètes d’autrefois. C’est ainsi qu’il était le Messie. Et nous, dans la vie de tous les jours, vivrons-nous de cet esprit ? L’accompagnerons-nous à sa manière sur les routes qu’il nous a ouvertes ?

 

On voit bien comment cela peut nous concerner très directement dans ce que nous faisons au quotidien. Nous sommes occupés à vivre dans la patience de l’étude pour scruter les Ecritures, la tradition de l’Eglise, et tout ce qui fait la pensée et la culture de l’humanité. Cela paraît bien loin des routes évoquées. En vue de quoi faisons-nous tout cela ? La question vaut d’être posée, lorsque nous finissons une année, un cycle, lorsque nous franchissons une étape de notre vie. Le travail de la pensée n’a pas pour but d’empiler de l’érudition, ou de rendre plus subtile notre connaissance du Mystère de Dieu ; l’enjeu n’est pas de  complexifier ou de compliquer ; il est de simplifier notre savoir pour que l’essentiel se découvre dans sa nouveauté (mais cela demande beaucoup de travail) ; le but n’est surtout pas de fermer ou de durcir le cœur, et de se repaître de doctrine et de légalisme ; le monde d’aujourd’hui n’a pas besoin qu’on lui assène avec suffisance ce que l’on croit être des vérités. Il attend d’être visité par la Charité, celle dont nous parle si bien saint Paul ; il attend une inspiration pour vivre sa condition avec le plus de profondeur ; il espère un avenir. Comme Jésus, il nous faut emprunter des routes que nous ne connaissons pas, ou mal. Nous ne savons pas par où elles passeront. Mais nous avons confiance qu’elles ne finiront pas en impasses. Nous ne savons pas à l’avance ce que nous aurons à dire ou à faire chaque fois. Cela nous sera donné pour autant que nous aurons été façonnés par la bonté de Dieu.

 

Jésus est fils d’Adam, fils de David, fils bien aimé de Dieu. Fils de la terre et fils du Père, pour que nous soyons nous-mêmes enfants de la terre et enfants d’un même Père : pour qu’en Dieu nous aimions le monde et soyons des artisans de réconciliation. Puisse alors le travail de l’intelligence être un acte de sagesse, une action de grâces envers ce Seigneur qui ne cesse de s’approcher de nous pour qu’ensemble nous soyons présents à la terre d’une manière toujours plus vraie. Alors nos énergies n’auront pas été déployées sans effet.

 

Bonne route à chacun de nous, avec Jésus le Seigneur.