Un temps pour lire
A l’heure où les couloirs et les salles des Facultés ne bruissent plus autant, et que l’on glisse doucement mais sûrement en ce mois de juillet vers la pause estivale, il reste encore des lecteurs penchés sur des ouvrages à la bibliothèque. D’autres en sortent les bras chargés de livres dans l’espoir de pouvoir lire cet été. Ils ont pour certains des projets d’écriture, de mémoires à rédiger, de livres à publier.
Quel livre vais-je donc emporter ? Peut-être L’homme-joie de Christian Bobin. S’y plonger, y revenir, c’est comme apprendre à regarder et à écouter le monde. J’y glane cet extrait. Signifiant. Inspirant. Alors qu’un Jubilé entier invite à se souvenir de l’importance de l’espérance.
Je m’arrête sur ces mots là sans doute parce qu’à la une des journaux, je lis d’infatigables bruits de guerre. J’y fixe aussi mon attention, parce que c’est la canicule et que le bleu du ciel rayonne. Et puis, quand le poète écrit, il est endeuillé. Le soubresaut est aussi intérieur.
Le poète nous invite : Partons de ce bleu, si vous voulez bien. (…) Vous voyez le monde. Vous le voyez comme moi. Ce n’est qu’un champ de bataille. Des cavaliers noirs partout. Un bruit d’épées au fond des âmes. Eh bien, ça n’a aucune importance.
C’est le temps alors de lever la tête du livre et de m’interroger, provoqué par les mots choisis avec soin par Christian. Ça n’a aucune importance ? Vraiment ? Il poursuit.
Je suis passé devant un étang. Il était couvert de lentilles d’eau – ça oui, c’est important. Nous massacrons toute la douceur de la vie et elle revient encore plus abondante. La guerre n’a rien d’énigmatique – mais l’oiseau que j’ai vu s’enfuir dans le sous-bois, volant entre les troncs serrés, m’a ébloui. J’essaie de vous dire une chose si petite que je crains de la blesser en la disant. (…) [L’oiseau] ne faisait aucun bruit.
Il y aurait donc autre chose à entendre cet été, sous le brouhaha des armes. Mais entendre quelque chose qui ne fait pas de bruit, n’est-ce pas cause désespérée ? A moins de regarder pour entendre ce qui est silencieux ? Encore quelques mots…
Voici je me rapproche de ce que je voulais dire, de ce presque rien que j’ai vu aujourd’hui et qui a ouvert toutes les portes de la mort : il y a une vie qui ne s’arrête jamais. Elle est impossible à saisir. (…) Pendant quelques secondes, j’ai réussi à être vivant.
Emporter ce livre cet été, ce sera comme décider d’écouter et de regarder autrement, le bleu du ciel, les lentilles d’eau et l’oiseau qui s’enfuit, pour réussir à être vivant. « Ce bleu, je le glisse dans ce livre, pour vous » écrit aussi le poète. Merci Christian Bobin.
Christophe PICHON
Directeur du 2ème cycle aux Facultés Loyola Paris